Les cadastres d'Orange


 
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La centuriation de la colonie romaine de Nîmes, D'après le plan cadastral retrouvé à Orange.

Par Lionel R. DECRAMER*, Luc LAPIERRE** et Alain Plas***

Résumé.

 Les fragments d'Orange constituent le document géographique romain le plus important qui ait été conservé. On s'interrogeait encore à la suite de la magistrale étude de Piganiol sur la représentativité physique de ces plans cadastraux. A partir d'un modèle géométrique de centuriation, on a pu établir leurs emplacements dont l'un concerne la colonie de Nîmes. On s'est attaché ici à justifier son assiette, à examiner la rigueur des relevés de ces arpenteurs et à suggérer une nouvelle disposition de 5 assises1. Les frontières du territoire ainsi défini correspondent à des limites géographiques (et peut-être historiques) logiques. Certaines voies romaines dont le tracé a été repris par les routes modernes, ainsi que la via Domitia sont inscrites d'une manière géométrique rigoureuse dans ce carroyage. Le jalonnement précis de ses nombreux milliaires conduirait à placer son caput viae au cœur de l'ancienne cité, là où la trame urbaine s'accorde à la centuriation. On retrouve cette même harmonie des formes dans la construction des 3 cadastres d'Orange. Cette carte romaine qui témoigne de la science et des techniques de cette civilisation mériterait de prendre une plus juste place dans l'album archéologique de Nîmes.

Introduction.

 Nîmes, la bourgade des Volques Arécomiques, aurait été élevée par Auguste au rang de cité romaine, à la fondation de la colonie en 26 av. J.-C. On dit aussi que M Vipsanius Agrippa l'embellit de magnifiques bâtiments publics, fit restaurer ou ouvrir de grandes voies dont la via Domitia qui traverse tout son territoire. La cité gardoise est réputée pour ses monumentaux historiques. Cependant il y en a un, peu connu et pour cause puisqu'on le trouve à Orange et que son attribution restait incertaine, qui mérite d'y figurer. Piganiol (Piganiol, 1963, p. 65-66) comparait ce monument géographique à la carte du monde affichée au Champ de Mars de Rome après la mort d'Agrippa et aujourd'hui disparue ; il a été retrouvé en pièces sous les murs d'Orange et reconstitué minutieusement par les archéologues. Il se présente sous la forme de trois formae gravées en 77 dans le marbre à l'époque de Vespasien, le créateur précisément du Forum de la Paix. Le plus ancien de ces cadastres, celui qui nous concerne, serait toujours selon Piganiol contemporain du plus ancien plan de Rome. Ce plan cadastral constitué de 5 assises mesurait environ 4,43 * 8,85 m et représentait une superficie de 71 300 ha, l'équivalent de la plaine gardoise. De ce plan marmoréen, 47 parmi les fragments retrouvés à Orange lui sont attribués, mais il est probable que d'autres encore puissent un jour lui être restitués. Malheureusement, un gros effondrement d'une aile du musée municipal eut lieu en 1962 qui l'a en partie endommagé ; seule une partie est maintenant présentée au public (fig.1).

Le fragment 7 du cadastre A au musée d'Orange

Fig. 1. Les fragment 7 et 4 du cadastre A au musée d'Orange(ph. F. Pailler).
Avec les 2 axes principaux à angle droit, un fleuve et une île, 2 voies sur berges et gravé ERNAG(inenses)

Le cadastre A d'Orange.

 Ces trois plans cadastraux se présentent sous la forme d'un quadrillage géographique, l'équivalent de notre quadrillage Lambert mais orienté différemment. Ce carroyage a servi au report du tracé des rivières et des routes, à inscrire les parcelles attribuées aux adjudicataires et d'autres renseignements d'ordre juridique. Un de ses plans, appelé A par Piganiol faute de pouvoir lui attribué une localisation précise, a la particularité comparé aux deux autres B et C de mentionner des terres appartenant à l'Etat romain R(ei) P(ublicae), ce qui constituerait une "importante présomption de son antériorité" (Piganiol, p. 97). C'est le seul à posséder des centuries doubles (20 * 40 actus), de présenter un décumanus maximus orienté vers l'Est et une origine, la groma, encore conservée sur un des fragments.
 Pour être compréhensible, il importait de savoir quel territoire représentait ce plan. Piganiol disposait pour cela de peu d'éléments topographiques reportés en fond de carte, cependant il subodorait que l'origine du cadastre A se trouvait sur le decumanus maximus du plan B plaçant ainsi ce cadastre dans la vallée de l'Aïgue2 . A sa suite, d'autres chercheurs tenteront sans analyse véritable de le localiser dans la vallée de l'Ouvèze ou dans la plaine de Châteaurenard. Il faudra attendre 1983 pour que Chouquer (Chouquer, 1983, p. 275-295 et Chouquer, 1992, p. 152-153) propose une solution originale en le plaçant plus au sud, loin de la colonie d'Orange dans la petite Crau. Pour étayer son argumentation, l'auteur s'appuie sur le site d'Ernaginum (Saint-Gabriel) et assoit son assiette dans la vallée de la "Durance antique", le lit actuel du canal de Viguièrat. Cette restitution généralement admise a servi de référence à de nombreuses études (Fiches et Veyrac, 1996, p. 142. Gazenbeek et al. 1996, p. 113-125. Allinne et Verdin, 2002, p. 137-156) et en particulier à Ph. Leveau (2010, p. 129-154) auquel nous répondons à ses critiques ici. Certains (Fiches et Veyrac, 1996, p. 142. Fiches et Gonzalez –Villaescusa, 1996, p. 127-134) auraient même relevé des relations géométriques fortes entre cette restitution et le cadastre de Nîmes. Cependant, J. Benoit (Benoit, 1985, p. 24-48) note : "on est sûr de son existence (du cadastre A), de son module, de sa localisation et pourtant il n'y a même pas 10% des limites conservées. S'il n'y avait pas les plaques de marbre, on aurait quelque difficulté à admettre son existence à partir de la restitution proposée".

Localisation du cadastre A selon Chouquer

Fig. 2a. Localisation du cadastre A selon Chouquer.

 Si on examine de près cette localisation, on constate en effet que sa couverture englobe pour l'essentiel des zones montagneuses incultes et inaccessibles à des arpenteurs3, ce qui paraissait en contradiction avec nos propres observations faites en Tunisie (Decramer et al, 2002, p. 147-148)4 sur la grande centuriation. De plus, l'auteur postule que le large cours d'eau gravé dans le marbre dont une centurie est attribuée aux Ernaginenses (fragment 7), une corporation d'utriculaires, est la Durance antique. "Cette rivière passait au sud de la Montagnette, alors qu'elle contourne aujourd'hui ce massif par le nord" (Chouquer, 1992, p. 152-153). La Durance antique n'est jamais passée à Saint-Gabriel5 à l'époque de Vespasien. On admet au contraire, qu'elle franchissait le pertuis de Lamanon avant de déposer ses débris alpins dans la Crau6 . Son cours aurait été détourné par un mouvement tectonique à la fin de la dernière glaciation (Würm), il y a près de 10 000 ans, pour rejoindre le Rhône près d'Avignon dans sa vallée actuelle.

Localisation de la Durance antique selon l’auteur

Fig. 2b. Localisation de la "Durance antique" selon Chouquer.

 Pour justifier les limites du cadastre, l'auteur s'appuie sur un filtrage optique d'une photo aérienne centrée sur la région de Saint-Etienne-du-Grès. Cette méthode a une couverture trop restrictive, moins de 3% de la surface arpentée et, l'orientation retenue nord-sud est celui d'un parcellaire moderne adapté à la topographie locale. Par contre, le filtrage à 50° présenté met en évidence un réseau, assimilé à une "dégradation du cadastre" (Chouquer, 1983, p. 139, fig. 2), qui s'appuie sur la voie Domitia et qui correspond justement à l'orientation d'un des cadastres de Nîmes.


Les cadastres du territoire de Nîmes.

 Sur le territoire de Nîmes, on a dénombré en effet pas moins de 5 cadastres ruraux et 6 structures orientées dans la trame urbaine (Carte archéologique de Nîmes, 1996, p. 134 – 143). A savoir pour les parcellaires ruraux :
 Nîmes A avec une orientation pouvant aller de 30,5° à 31,8° W,
 Nîmes B avec une orientation d'environ 10° W,
 Nîmes C à 20-24° W.
 Des cadastres "arlésiens" qui débordent largement sur la rive droite du Rhône avec des orientations variant de 3° W à 5° E, dont celui orienté à 2,5° E assimilé au plan A d'Orange selon Chouquer.
 A ces centuriations, on peut ajouter les structures urbaines géométriques mises en évidence par J. Benoît (Benoit, 1981, p. 69-90) dans la ville de Nîmes : structures verte (31,5° W) et violette (30°W), structure marron (25°W), structure rouge (12° W), structure bleue (1,5° E).  La reconnaissance des parcellaires quadrillés s'appuie généralement sur une méthode dite morpho-historique (Chouquer, 2001)7 . Si cette méthode a permis de révéler certains cadastres antiques, un manque de rigueur dénoncé par plusieurs auteurs (Favory, 1996, p. 96-126. Clavel-Lévêque, 1993, p. 7-29. Benoît, 1985, p. 24-48. Pérez, 1995, p. 9-18) a conduit à une véritable prolifération de nouveaux cadastres annoncés au point de susciter un scepticisme général. Ce "modèle de centuriation" (Chouquer et Favory, 1992. Chouquer et al, 2001) construit pour l'essentiel sur des textes gromatiques tardifs manquait, peut-être, d'une analyse critique et d'une synthèse rigoureuse des différents acquis archéologiques. Pourtant M. Guy (Guy, 1993) avait mis en évidence par une analyse statistique de ces résultats une concomitance d'orientation particulière de ces réseaux. Nous-mêmes, à partir de bornes gromatiques retrouvées ou découvertes dans le Sud tunisien (Decramer et al, 2002, p. 109), nous avons proposé sur la base des centuries inscrites dans la pierre et de leur étude géographique un modèle géométrique général.8


Modèle géométrique de centuriation.

 Le cadastre est une construction géométrique rigoureuse. Il est tracé en un point d'origine, la groma, selon deux axes principaux : le decumanus maximus et le kardo maximus parfaitement orientés dans l'espace. Le territoire est ensuite divisé selon un quadrillage régulier de maille une centurie.

 Le locus gromae.
 On a remarqué que ces origines sont toujours situées en terrain plat, dégagé et facilement arpentable : la plaine du Saltus Massipianus pour la Tunisie (Decramer et R. Hilton, 1999, p. 72), la vallée du Rhône près de Lapalud pour le cadastre B d'Orange bien connu, la plaine du Comtat Venaissin pour le cadastre C (Decramer et al, 2003). Ces emplacements sont appropriés à l'arpentage d'une base et à la prise de méridienne.

 D'une orientation solaire bien définie.
 Nous avons retrouvé en Tunisie plus d'une trentaine de bornes cadastrales avec leurs coordonnées romaines. Cette centuriation de grande ampleur est orientée sur le méridien selon un ratio 5/7 (35,54°). On a aussi démontré que les centuriations avérées de Tunisie et de Narbonnaise étaient toujours orientées9 selon des rapports simples sous multiples de 5, confirmant ainsi les travaux de M. Guy (Guy, 1993, p. 57-68). Elles sont strictement orientées dans l'espace, calées sur la méridienne selon les angles suivants :


Angle a (°) 0.00 5.71 11.31 16.70 21.80 26.57 29.05 30.96 32.00 35.54 38.66 39.81 45.00
Ratio tg(a) 0.00 1/10 1/5 3/10 2/5 5/10 5/9 3/5 5/8 5/7 4/5 5/6 10/10

 On a donc émis l'hypothèse que la ratio mundi pouvait être le "rapport à l'axe du monde", c'est à dire le ratio des 2 côtés de l'angle à cet axe ou tangente de l'azimut. Certaines miniatures de l'Arcerianus et du Palatinus (La, 189, 8-15, fig. 164 et Th. 103-103a) présentent un gnomon avec une grille. Cette représentation suggère l'équerre d'orientation des premiers géographes (Lassalle, 1990, méthode de triangulation de Gemma Frisius p. 77. Pastoureau, 1991, tracé d'une carte militaire p. 38) qui permettait des visées selon des rapports simples prédéterminés.

 D'une maille donnée.
 Il est possible aujourd'hui de relever des points clés sur le terrain, au moyen du GPS par exemple, et d'effectuer des calculs plus précis. Une dispersion de +/-3 m (erreur ~ 0,4%) paraît encore acceptable. On admettra comme admissible une centurie comprise entre 703 et 710 mètres, à l'exclusion d'autres valeurs exotiques.

Localisation du cadastre A d'Orange.

 Au même titre que la centuriation tunisienne est certifiée par ses bornes gromatiques, celles d'Orange sont inscrites sur la forma. Pour les reconnaître, on dispose d'éléments topographiques précis pour les asseoir sur le terrain, à savoir pour le plan A :

 - le fragment 7, sur lequel figure une île et un fleuve dont la largeur peut être estimée entre 110 et 560 m (voir infra),
 - le fragment 8 avec une route tracée près d'une étendue d'eau considérable (27,5 ha),
 - les fragments 4 et 5, sur lequel apparaissent des terres subsécives en bordure de terres non mesurées.


On possède en outre des indications toponymiques précieuses :

 - les Ernaginenses, une corporation d'utriculaires qui opéraient entre Arles et la Durance,
 - les terres appartenant à l'Etat romain R(ei) P(ublicae) dans l'aire d'une colonie (Piganiol, p. 60),
 - plusieurs noms d'adjudicataires.

Procédés pratiques.

 Première étape. On a recherché les meilleures correspondances entre les éléments topographiques du plan et les éléments cartographiques d'une carte ramenée à la même échelle. Pour cela, on a tenté d'identifier quelle île du Rhône pouvait correspondre au fragment 7 qui, selon Constans (Piganiol, p. 110), se situerait entre Arles et la Durance. Le plan cadastral (Piganiol, p. 96, schéma du cadastre A) a été superposé sur une carte topographique au 1/100.000°. Cette première approche permet de respecter la cohérence entre tous les fragments. La recherche est facilitée en calant la grille sur le méridien selon un des ratios mundi donnés. Toutes les îles du Rhône ont été passées en revue pour ne retenir que les options possibles.

 Deuxième étape. On a disposé sur une carte au 1/25 000e la grille régulière en recherchant au mieux les traces des cadastres publiés pour cette région en veillant toujours à respecter le ratio d'orientation méridienne. On "n'invente pas" de nouveaux cadastres et on ne retient que les solutions acceptables.

 Troisième étape. On affine ensuite les paramètres du modèle au moyen de cartes détaillées au 1/25 000° sur CD Rom et d'outils de calcul appropriés. Enfin, la vérification expérimentale sur le terrain permet d'éliminer les artefacts et de relever au GPS les points fondamentaux tels que bornes, limites administratives ou sites . Après exploitation des données, la position des éléments topographiques de la forma est contrôlée à nouveau sur la carte.


Installation du fragment 7

Fig. 3. Installation du fragment 7. Le Rhône, l'île de la Barthelasse et la centurie des Ernaginenses.

 On a superposé l'îlot sur toutes les îles du Rhône en respectant la direction générale du fleuve définie par les plaques E et D et en recherchant la meilleure ratio mundi. Seule solution possible l'île de la Barthelasse Sud en face de Tarascon avec un plan orienté à environ 30° ouest (fig. 3). Ainsi le plan A recouvre la région de Nîmes où plusieurs cadastres sont reconnus par les archéologues. Le réseau Nîmes A correspond à cette orientation avec un azimut variant entre -30,5° et -31,5° et un ratio moyen de -3/5 (-30,96°)10. On a donc admis dans un premier temps cette valeur (Decramer et al. Autour des Libri Coloniarum, oct. 2003). Cependant il existe dans la liste des ratios un angle très voisin 32° et il est difficile de discriminer une nuance de 1° en l'absence d'un bornage ou de limites suffisamment reconnaissables sur le terrain. On a donc repris l'étude détaillée de ces lignes cadastrales au moyen du logiciel CartoExploreur11. D'une façon générale, les cardines ont laissé plus de traces dans le paysage, tandis que les décumanes sont peu marquées. On pourrait reconnaître dans la départementale D 986 1 entre Meynes et Montfrin le kardo maximus. Dans ce cas, l'orientation serait de 32,0° Ouest (ratio -5/8) et la groma se retrouverait au sud de Tarascon au lieu-dit les Radoubs (fig. 3). Les voies du fragment 7 deviennent deux voies sur berge du Rhône, la mention aqua des deux centuries [sd 2, ck 1] et [sd 2, vk 1] est justifiée par la présence du fleuve. Ainsi, la centurie attribuée aux Ernaginenses se retrouve à cheval sur le Rhône à l'emplacement actuel du pont entre Beaucaire (Ugernum) et Tarascon (Tarusco), ce qui justifie la présence de la corporation des utriculaires pour le franchissement du fleuve.
 Plus difficile est de trouver des décumanes pour fixer la position de l'origine sur ce kardo maximus. On a retenu pour les deux termes du decumanus maximus inscrits sur la forma les éléments topographiques suivants : le point ck 2012 dans un point d'inflexion des limites du canton de Franquevaux, limites orientées justement selon les axes majeurs et le point vk 513 dans un carrefour de la voie d'Agrippa (D. 79a) qui est aussi une limite administrative près du Mas du Grand Bel-Air (fig. 4a). Ce segment de droite est orienté exactement selon l'axe principal (58,0°) et sa longueur de 35,385 Km (25 centuries doubles) entraîne une centurie c = 708 m.
 Les paramètres du cadastre A d'Orange seraient ainsi les suivants :
Origine (groma) : lieu-dit les Radoubs, position UTM 0 633 350 ; 4 849 490 m14,
Orientation : 32,00° Ouest, ratio -5/8,
Centurie rectangulaire 20*40 actus : 708 * 1416 m,
Etendue de la pertica (fig. 4) : la plaine de Nîmes depuis le piedmont des garrigues jusqu'aux zones marécageuses de la Camargue d'une part, de la vallée du Vistre jusqu'à la rive gauche du Rhône d'autre part (fig. 4).

Une centuriation de Nîmes affichée à Orange.

 Pour valider cette assiette, on a confronté les éléments topographiques des fragments à ceux de la carte.

 Etude détaillée des fragments.

 Le fragment 7.
 Il a été placé sur l'île de la Barthelasse Sud15 de la carte au 1/25 000e (fig. 3). La représentation du fleuve sur la forma marmoréenne est ici conventionnelle comme la largeur des routes. En effet dans la centurie [sd 2, vk 1], 33 3/4 jugères sont en eau (>aqua). On en déduit une largeur minimale du fleuve de 110 m. De même, les deux voies encadrant le fleuve sont des voies sur berges (Piganiol, p. 97)16, d'où une largeur maximale de 560 m, estimation cohérente avec une largeur du Rhône de 400 m à Tarascon. La centurie des Ernaginenses [sd 3, vk1] occupée par une grande "nappe d'eau" (Piganiol, p. 109) (fig. 3) suppose la présence d'un grand cours d'eau. Elle se trouve à cheval sur le Rhône à l'emplacement actuel des ponts, la présence de l'île devant probablement faciliter le halage des bacs. C'est le trajectum Rhodani bien connu de la voie Domitienne entre Ugernum-Tarusco (Christol et al, 2002, p. 105- 129). On pourrait faire un rapprochement entre cette corporation des Ernaginenses et le collège d'utriculaires signalé à Nîmes et présidé par un certain L(ucius) Valerius Secundinus (2e s. apr. J.-C.), Nîmes n'est qu'à 15 milles romains d'Ugernum. La présence d'une nappe d'eau dans la centurie [sd 3, vk 1] et la mention aqua dans la centurie adjacente [sd 2, vk 1] (33 3/4 jugères) se justifient par la présence du Rhône. De même, la considérable étendue d'eau de 110 jugères (27,5 ha) dans la centurie [dd 1, vk 1] et la partie inondée dans l'angle supérieur gauche de la centurie [sd 1, vk 1] signalée par Piganiol s'expliquent en plaçant la plaque E sur le Rhône près de Beaucaire.

Positionnement des terres R(ei) P(ublicae) près de Caissargues

Fig. 4a. La Centuriation d'Orange - Nîmes A (carte au 1/100.000°)

 Les fragments 4 et 5.
 La ligne oblique, en périphérie de "ces mauvaises terres dont personne ne voulait" (Piganiol, p. 62), suit assez fidèlement le profil du Rhône à l'île Pilet (fig. 4). La région située à droite (Est) considérée comme res nullius17 par Piganiol chevauche le fleuve, ses abords marécageux pourraient justifier ce statut. Cette ligne oblique et le tracé du fleuve sur le fragment 4 (fig. 1) épousent le cours du Rhône au sud de Tarascon avec un profil qui impose une orientation générale au plan d'environ 30° Ouest(fig. 4b).

Positionnement des terres R(ei) P(ublicae) près de Caissargues

Fig. 4b. Les Fragments 4 et 5 devraient s'insérer en bordure du Rhône.
La ligne oblique forme une sorte de limite d'une terre res nullius
La pierre opisthographe 47 signale une centurie attribuée à des vétérans généralement sur une frontière.

 Les fragments 21, 22 et 23 de la plaque IV B.
 Ces terres RP jointives sur 6 centuries appartiennent toutes à la colonie. Elles se trouvent aux abords de Nîmes dans la vallée du Vistre, si riche en vestiges archéologiques. Ces fragments ont été installés sur la carte au 1/25 000e en prenant appui sur le point sd17, ck13 (fig. 5). La centurie [sd 18, ck 13] correspond à Caissargues dont l'adjudicataire Ver(a) (Valeria ou Atilia ?) se retrouve dans l'index d'onomastique de Nîmes sous une forme proche L. Atilius Veratianus (p. 599). Les centuries voisines concernent le domaine du mas de Nages et du mas de Galoffre où de nombreuses tuiles romaines ont été mises à jour.

Positionnement des terres R(ei) P(ublicae) près de Caissargues

Fig. 5. Positionnement des terres R(ei) P(ublicae) près de Caissargues. (fragments 21,22 et 23)

 Les fragments de la plaque III B.
 Les terres des centuries ck 17 et ck 18 appartenant à la colonie s'étendent de part et d'autre de Générac18 (fig. 4). L'espace blanc de la centurie [sd 11 - ck 17] réservé par Piganiol au tracé d'une rivière conviendrait bien au tracé d'une route, celle qui rallie Générac à Champagnolles, ainsi que l'espace vierge de la centurie [sd 4 - ck 17] qui serait réservé au tracé d'une voie, la D14 entre Générac et Saint-Gilles. L'adjudicataire (Bal)bus ou (Pro)bus du fragment 13 pourrait être rapproché du nom de Balbus (p. 609) ou Albus (p. 610) répertorié dans l'index onomastique de Nîmes. Il n'est pas nécessaire de rechercher une lointaine "cité Caenica " (Chouquer, 1983, p. 284) près de Salon-de-Provence pour trouver un emplacement satisfaisant aux terres d'Etat du fragment 9. Celles-ci se trouveraient proches de la colonie entre Aubord et Générac.

 La pierre opisthographe n° 47 (fig.4b).
 Cette pierre d'un intérêt "considérable" a été placée sur la carte (fig. 4).
 - Centurie [dd 1 - vk 3](47A). Elle se situe dans le domaine du Petit Roubian, à 3 km à l'Est de Tarascon. Elle appartenait à un militaire et remonterait à la fondation de la colonie.
 - Centurie [dd 1 - vk 5](47B). Elle ne comporte aucune limite tracée dans le marbre, ce qui suggère qu'elle se trouverait en limite du territoire. Cette centurie "tombe" sur le domaine du mas du Grand Bel-Air, à cheval sur la voie d'Agrippa (N. 570) en limite de pertica19(fig. 8). Cette route stratégique de la rive gauche du Rhône, qu'on retrouve sur le cadastre B, traverse selon un axe sud nord le territoire de la confédération cavare pour rejoindre la voie Domitia au nœud routier d'Ernaginum (Saint-Gabriel). C'est précisément dans cette région que Barruol (Barruol, 1969, p. 55.) situe la frontière du territoire des Cavares.

Proposition pour une nouvelle lecture des fragments incertains.

 Piganiol avait conjecturé l'emplacement de certains fragments incomplets, en particulier les plaques A et B de l'assise I. Celles-ci tomberaient dans les marécages de la petite Camargue, ce qui paraît étonnant.

Proposition pour un cadastre A modifié

Fig. 6. Proposition pour un cadastre A modifié.

 Fragment 8.
 Seule coordonnée certaine ck 1. M. Amy le place dans la partie sinistra sd (VI et VII) et Piganiol en dd (I et II). Comme indication topographique, on dispose d'une voie romaine et d'une surface en eau de 110 jugères (27,5 ha). Selon la suggestion de M. Amy, la voie romaine pourrait être la D986 1 au nord de Beaucaire, mais on ne rencontre pas de grande étendue d'eau (fig. 3). La suggestion de Piganiol pourrait convenir. En effet, le Rhône traverse la centurie dd 1 en couvrant une superficie en eau d'environ 25 ha, ce qui est cohérent avec son inscription. La voie romaine qui est figurée se trouve alors dans le prolongement de celle dessinée sur le fragment 720. La plaque E nous offre ainsi une description plus détaillée de l'emplacement de la groma (fig. 6).

 Fragment 6.
 Seule mention certaine ck 8, l'autre dd 5 est arbitraire. La ligne oblique (subsécive) représente probablement une rivière (cf. les fragments 4 et 5). Cette centurie trouverait une place plus appropriée en dd 10 ou dd 9 près du mas de Vert à l'ouest de Fourques. La ligne oblique épouse dans ce cas le cours du petit Rhône (fig. 4).

 Fragment 1.
 Piganiol propose la restitution suivante [dd X] III, ck XVI en éliminant, à cause de la présence d'un joint, la lecture dd III, sd III et sd XIII. Cette centurie fort éloignée des autres terres RP (autour de Nîmes) se trouve d'une part seule à droite du decumanus maximus. D'autre part, elle se situerait dans le marais de Saliers au sud de Saint-Gilles, ce qui n'est pas satisfaisant.
 On doit donc envisager une autre lecture. Seule possibilité [sd XX] III, compte tenu de la présence du goujon et du joint. L'assise I prend alors sa place dans la partie supérieure de la construction architecturale, au dessus de la plaque IV (fig. 6)21. La centurie supérieure bordée par le joint n'est pas d'une hauteur standard. Cette anomalie milite en faveur de son emplacement en haut du plan. Dans ce cas, la centurie [(sd X)XIII, ck XVI] se retrouve dans la Vistrenque comme les autres terres RP, elle serait pérennisée par la limite communale de Nîmes (fig. 7).

La pertica près de Nîmes et la via Domitia

Fig. 7. La pertica près de Nîmes et la via Domitia.

 Fragment 2.
 Son appartenance à la plaque B de l'assise I est très certaine. Piganiol conjecture (dd) XII (I ck..) avec 15 jugères au moins appartenant à la colonie. La présence du joint, en liaison avec le fragment 1, commande de le placer en [sd XX] III sur la même assise (fig. 6)22. La centurie supérieure (..am..) qui se trouve au-delà du 23e décumanus, serait en rapport avec la cité de Nîmes. Cette limite tangente les faubourgs de Nîmes et les terres du piedmont par le sud (fig. 7).

 Fragment 3.
 La présence du joint en haut et la lecture certaine en ck X suggèrent de le placer aussi sur la plaque supérieure, avec la lecture [sd XXXIII], ck X (fig. 6)23. Les terres de l'adjudicataire Roscia seraient selon cette hypothèse à l'emplacement du cimetière du Pont de Justice en limite nord de la pertica (fig. 7).

Les limites du plan cadastral de Nîmes.

 Une limite nord en piedmont des garrigues.
 Le decumanus sd 23 est une bordure naturelle au pied des garrigues (fig. 7 et 8). Il se confond avec la limite communale de Marguerites et suit la voie de piedmont (N 86) qui rallie Nîmes à Avignon, via l'oppidum de Marduel (Fiches et Veyrac, 1996, p. 133). Il ne devait guère aller au-delà du Rhône et pouvait atteindre le point extrême sd 23 vk 2, point triple de limites administratives au lieu-dit la Soubeyranne en bordure du fleuve.
 Cette limite jouxte les remparts de la cité de Nîmes dont le carroyage (la structure verte à 31,5° W) signalée par J. Benoit est très proche. La via Domitia qui entretient des rapports géométriques étroits avec la centuriation (voir infra) devait probablement figurer sur le plan original. Elle se retrouve entièrement dans la pertica, ce qui n'était pas le cas avec l'ancienne disposition des assises. Cette frontière géographique inclut les faubourgs de Nîmes et les terres du piémont.
 Une limite méridionale plus incertaine.
 Elle ne devait guère aller au-delà du fragment 6, c'est-à-dire jusqu'en dd 9 ou 10. Cette limite devait être plus floue et devait probablement border les étangs, traverser la petite Camargue au sud de Saint-Gilles et passer au nord du territoire de la colonie d'Arles (fig. 8). La colonie d'Arles, dont le cadastre est d'orientation différente, est nettement hors du plan.

La centuriation de Nîmes et ses limites selon le cadastre A d’Orange

Fig. 8. La centuriation de Nîmes et ses limites selon le cadastre A d'Orange.

 Une frontière des Cavares à l'orient.
 Elle est définie par le plan cadastral et la pierre opisthographe n°47 B (vk 5). L'étroite bande cadastrée comprise entre les massifs de la Montagnette et des Alpilles (fig. 8) s'arrête sur la voie d'Agrippa, là où Barruol plaçait la frontière de la confédération cavare. Plus au nord, cette limite emprunte plus ou moins la vallée du Gardon.

 Une limite occidentale naturelle.
 Définie par le 20e cardo (ck 20), elle comprend les communes d'Aubord et de Générac (terres RP). Cette ligne géométrique semble exclure les communes de Vauvert et Vestric-et-Candiac dans la basse vallée du Vistre où l'on retrouve cependant les mêmes isoclines24. Ce fleuve côtier devait probablement servir de frontière naturelle (fig. 8).
 Le nouveau plan cadastral proposé est plus homogène et convient mieux à la topographie de la région de Nîmes. Correspondrait-il à la Colonia Augusta Nemausus ? Il ne nous appartient pas de trancher cette délicate question (Leveau, 2004)25.

Des relations géométriques parfaites.

 Relations entre le cadastre et la via Domitia.
 Les voies romaines rentrent généralement dans des rapports simples avec le carroyage (Decramer et al, BSNAF à paraître). Ici, la via Domitia, très prégnante dans le parcellaire, est rectiligne sur 19 km selon un azimut de 97,8°. Ce rapport est de 3/5 avec ce cadastre de Nîmes - Orange orienté à 32,0°26. La voie passe exactement par les noeuds suivants : ck 11-sd 23, ck 8-sd 18, ck 5-sd 13 et ck 2-sd 8 (fig. 10). On retrouve cette correspondance sur l'autre rive du Rhône jusqu'au point vk 1-sd 3 (Tarascon), ville à partir de laquelle la voie emprunte le 1e kardo en direction d'Ernaginum (D 970) (fig.8). Cet alignement de part et d'autre du Rhône est une illustration parfaite du principe de la "varatio fluminis" de I. Nipsus.

Les milliaires XIII de la voie Domitia près de Jonquières-St-Vincent

Fig. 9. Les milliaires XIII de la voie Domitia près de Jonquières-St-Vincent.(Photo F. Pailler)

 On a retrouvé de nombreux milliaires sur cette voie27, mais peu d'entre eux étaient en place. Les milliaires XIII sont encore in situ (fig. 9)28 et les milliaires III y étaient lors de leur découverte en 1980 (Garmy et Pey, 1980, p. 177)29. A partir de cette distance (14 969 m +/- 30 m), on peut déterminer une valeur précise du mille : 1 497 +/-3 m et vérifier la cohérente de l'emplacement des autres bornes30 (fig. 10). Cette grandeur est différente de la valeur canonique (1 481 m) généralement admise pour cette voie (collectif, 1997, p. 17).

 On a noté par ailleurs que le mille pouvait être variable selon les régions (ou les époques ?) : 1 610 m pour la voie d'Asprenas en Tunisie31 ou de 1 531 +/- 3 m pour la voie d'Aurélia. Cette variabilité du mille a été parfois attribuée au fait que les distances n'étaient pas mesurées avec un étalon de longueur, mais à partir d'une "durée" (Goudineau, 2004). Cette thèse n'a aucune vraisemblance. Cette méthode induit une double mesure : une mesure de la vitesse qui doit rester constante, impossible à vérifier et une mesure d'un temps précis qu'on ne maîtrisait à cette époque. La "navigation hauturière" à l'estime dont l'auteur fait référence est justifiée parce qu'en mer les distances sont inaccessibles à la mesure linéaire au pas ou à la perche. Il faudrait enfin accepter que les 1 481,5 mètres ne soient pas une valeur taboue. Ici, on connaît la métrique du système grâce au plan cadastral (Orange -Nîmes A). La centurie32 fait 708 * 1 416 m, ce qui donnerait un MP mesuré d'environ 5 075 pieds. La formule 1 MP = 5 000 p n'est pas applicable, ce qui entraîne les conséquences suivantes. Tous les milliaires (fig. 9) de cette section sont comptés à partir de Nîmes. Dans ce cas, le caput viae ne se retrouve ni à la porte Auguste33, ni "à l'intérieur de l'enceinte augustéenne, à la jonction des rues Nationale et Xavier-Sigalon " (Fiches et al, 1987, p. 120), mais son comput34 se situe dans la rue Nationale aux abords de la ZAC des Halles et à l'intersection de l'ancienne route de la porte de Cancière, ce qui est en conformité avec le schéma urbain antique pressenti par J. Benoît (Benoît, 1981, p. 69)35.

 Relations géométriques entre voies et cadastre

Fig. 10. Relations géométriques entre voies et cadastre.

 Une autre voie romaine ?
 La route de Bellegarde à Saint-Vincent (D 163) est caractérisée par deux sections rectilignes aboutissant sur la Domitia au point ck 3,5-sd 10,5, au lieu-dit Peïre Fioc36. La première section rentre dans un rapport 1/1 (diagonale de la centurie rectangulaire) entre les noeuds ck 6-sd 8 et ck 3,5-sd 10,5 et la seconde dans le rapport 3,5/5 (fig. 10). Cette route doit être probablement une ancienne voie romaine accordée à ce cadastre. On pourrait ainsi en reconnaître d'autres, par exemple la N 86 à Marguerittes (décumanus 23) et évidemment la D 986 1 qui est le kardo maximus37.

Relations entre les 3 cadastres d'Orange.

 La centuriation de Nîmes organise tout son territoire : un parcellaire dont nos limites administratives épousent encore le tracé, des limites adaptées à la topographie, des voies tirées au cordeau dans le carroyage, un plan de la cité dessiné selon cette trame. Cette loi des ratios trouve son achèvement, nous semble-t-il, dans l'assemblage des trois cadastres affichés à Orange.
 Restitution des cadastres B et C d'Orange.
 La localisation de ces deux centuriations a été exposée par ailleurs (Lapierre et Decramer. Actes du colloque Archéométrie 2005 à paraître. Decramer et Lapierre. Actes du colloque ISTA 2003). Nous en rappelons ici l'essentiel.
 1- Le cadastre B.
 De nombreuses études ont permis de confirmer et de compléter la reconnaissance de ce cadastre par Piganiol. La méthode géométrique permet simplement de préciser ses paramètres :
 Origine de la groma : 0 637 220 ; 4 906 060 (UTM 31). Elle se situe près de Lapalud, sur la D 8 (le decumanus maximus), à côté de la " ferme Durand ", à environ 130 m à l'est de l'origine proposée par Piganiol (Pl. XLIII).
 Orientation : ratio mundi 1/10 (5,71° au lieu de 5° retenu),
 Centurie 20*20 actus de module 707 m.
 La restitution de cette centuriation ne pose pas de problème majeur(fig. 11). La mise en place des marbres sur les cartes topographiques38 permet, à titre d'exemple, de confirmer le fragment n° 40439 et précise le tracé de la voie d'Agrippa entre Novemcraris (Logis de Berre) et Acunum (N. D. d'Aygue, près Montélimar). Cette voie emprunte la départementale 206 au nord de Malataverne, proposition déjà suggérée par G. Barruol (Barruol, Latomus, XXXI, 1972, p. 994) et pressentie par J. Benoit (Salviat, 1985, p. 277-287). Cette voie reportée sur la forma qui, notons le, ne rentre pas dans un rapport géométrique simple avec le cadastre. Elle est manifestement antérieure à la révision vespasienne.

 Relations géométriques entre voies et cadastre

Fig. 11. Restitution des 3 assises sur une carte hypsométrique.

 2- Le cadastre C.
 Sa restitution était incertaine. Les hypothèses avancées à partir de modèles morpho-historiques ont pour inconvénient majeur de placer des terres cadastrées sur des montagnes (Chouquer, p. 226 et fig. 168) et de supputer "une importante anomalie topographique, une discordance inexplicable à plusieurs kilomètres à l'est du Rhône" pour placer la fossa Augusta.
 A partir de l'installation des îles insulae Furianae sur les cartes au 1/25 000e, l'étude des photos aériennes et des cadastres relevés par les archéologues, il est possible de proposer une assise40 qui soit cohérente avec les différentes contraintes. Le cadastre C aurait alors les paramètres suivants :
 Origine de la groma : 1ère estimation 0 622 820 ; 4 875 890 m (UTM 31).Elle se situe entre Monteux et Pernes-les- Fontaines, au carrefour de la D 49 et de la D 97. Le decumanus maximus serait alors le chemin de Patris qui part de ce carrefour selon l'orientation du cadastre.
 Orientation : ratio mundi -1/5 (-11,31°),
 Centurie de 20*20 actus de 707 m.
 La fossa Augusta, ce "canal " est un bras du Rhône aménagé entourant l'île d'Oiselet. Le fragment 320 placé en limite de colonie par Piganiol trouve exactement sa place au pied des Dentelles de Montmirail, près de Beaumes-de-Venise et la voie romaine du fragment 310 pourrait être la D 7 entre Carpentras et Aubignan. Les coïncidences relevées entre les éléments topographiques du plan et les cartes sont assez nombreuses pour retenir cette solution, même si celle-ci devra être précisée.

 3- Une harmonie des formes
 Les 3 plans cadastraux ont été installés sur une carte (fig. 12). Le cadastre A couvre la plaine de Nîmes, traverse le Rhône jusqu'au niveau de la voie romaine Arles - Avignon en évitant la Montagnette et les Alpilles. Le cadastre C s'étend dans la plaine du Comtat Venaissin depuis le Rhône près d'Avignon jusqu'au pied du mont Ventoux. Le cadastre B englobe la vallée du Rhône depuis Orange jusqu'à Montélimar sans chevauchement avec le plan C contigu. L'origine A se situe sur le kardo maximus de B à 2 fois 40 centuries(fig.13), cet axe prenant la vallée du Rhône en enfilade.

 Les 3 cadastres d'Orange

Fig. 11. Les 3 cadastres d'Orange. Une harmonie remarquable.

Déjà Piganiol avait subodoré, compte tenu des assises des 3 plans, qu'ils étaient géométriquement liés 41. Le point C se trouve sur la médiatrice de cet axe à environ 40 centuries. Les 3 origines A, B, C, H (fig. 14) forment une figure géométrique parfaite : un quasi-triangle rectangle isocèle de côté 40*v2 c (40,0 Km) dont la diagonale principale est justement le kardo maximusde B. Toujours sur ce kardo, le dernier quintarius (H) du plan B (dd 40) se trouve précisément à 40 centuries près de Montélimar. Ces quatre points A, B, C, H gravés dans le marbre sont sur les sommets de trois carrés jointifs. Si l'on tient compte de l'extension réelle des trois cadastres, un système de 4 carrés de 40 centuries42 de côté se dessine nettement(fig. 13).

 Les 3 cadastres d'Orange

Fig. 13. Les 3 plans cadastraux sont liés géométriquement.

 Ainsi, les trois gromae auraient été placées aux noeuds d'un système de triangulation de grande ampleur, ce qu'il est convenu d'appeler de nos jours un " système géodésique de 1er ordre ". Les plans cadastraux se présentaient donc comme les trois feuilles d'une seule et même carte et c'est, peut-être, sous cette forme qu'ils devaient être affichés dans le tabularium d'Orange43. Ce résultat "expérimental" est surprenant par son harmonie des formes. Cette triangulation de 1er ordre pourrait expliquer pourquoi la révision vespasienne paraît si cohérente44. On s'interrogera alors sur la chronologie relative (Chevalier, 1997, p. 308) entre ces voies et ces centuriations. Ici, la voie d'Agrippa qui est présente sur le plan B n'entretient aucun rapport avec le carroyage. Elle est manifestement antérieure, comme celles figurant sur le plan A. Il n'existe malheureusement aucune trace de la voie domitienne sur les fragments conservés, mais celle-ci prend appui forcément sur le cadastre, et non l'inverse, ce qui préjuge de l'antériorité de celui-ci en accord avec la présomption de Piganiol. On devrait alors s'interroger sur l'existence ou non d'un autre système de triangulation de 1er ordre qui couvrirait, au même titre que celui de la vallée du Rhône, la partie centrale de la Narbonnaise cette fois-ci et sur lequel viendrait s'appuyer la via Domitia depuis Narbonne jusqu'à Nîmes.

 Les 3 cadastres d'Orange

Fig. 14. Un réseau géodésique de 1ier ordre.

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Postface.

 Cet article avait été proposé, revu, corrigé et accepté en 2007 par la revue Archéologie en Languedoc.
Faute de financement, la publication de cette revue a été interrompue durant quelques années. Nous avons donc choisi, compte tenu de cette non- parution, de le mettre à la disposition de nos lecteurs, sachant l'intérêt renouvelé que suscitent ces documents cadastraux d'Orange uniques au monde.